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Un vivant toujours
Certes, il y a les images qui enduisent le monde juste ce qu’il faut pour masquer l’inappréciable vertige du Beau ; il y a celles du commissariat général dont chacun se doit d’être l’agent de surveillance ; il y a celles qui parlent le mensonge, la langue natale de l’argent ; il y a les images qui naturalisent la nature et celles qui vendent des objets sexy avec les corps mécaniques de filles absentes ; il y a les images de l’actualité qui réduisent le présent à l’instant ; celles du tourisme qui font du voyage un point mort : celles du spectacle qui font de l’amour, de la vie, un cliché. Et puis, il y a les images d’artistes qui donnent à voir comme personne ce que chacun porte d’ineffable présence, ce dont tout irradie ici-bas. Ainsi, de mon point de vue, de la photographie de Virginie Luc.
De Beyrouth à Moscou, de l’Orissa ou du Pendjab au golf du Bengale en Inde, de Naples au désert du Hoggar, de l’Égypte à la Libye, Virginie Luc prend le mystère au vol, comme on donne un baiser, aussi furtif qu’inoubliable.
Quel œil, quelle attention à sa propre expérience terrestre pour parvenir aujourd'hui à voir.
A trouver l’unité dans le multiple, le vide dans le plein, la vie dans tout ce qu’on donne pour mort au monde « moderne ».
La photographie de Virginie Luc raconte à voix basse une splendide éternité.
Ce n’est pas que l’homme soit peu de chose sur terre, ni grand dieu grand diable qu’il en soit le maître. Il y est l’une des manifestations de sa puissante exception. Et même s’ils ont la nuit au cœur, les êtres y sont les fruits du jour, les fruits d’un vivant toujours.
Sensuelle, la photographie de Virginie Luc l’est aux cinq titres dont l’homme peut se féliciter. A la contempler, c’est-à-dire à en savourer les pensées, on y goûte, on y respire, on y touche, on y écoute autant que l’on y voit. Ici le froissement des étoffes et du vent qu’elles colorent, là l’encens qui fleure un insondable recueillement, ici encore l’eau fraîche où le soleil vole en éclat.
Sensuelle parce que sensible au secret de l’humain, à ce qui fleurit de vie dans sa fugacité.
Dans les rires et les chants de ces moments, vibre la voix fraternelle de l’étrange étranger. J’écoute sa photographie modeste sans me lasser. J’entends dans sa lumière les sons de l’infini.
La douceur à l’œuvre, et sans mesure à l’œuvre, dans la photographie de Virginie Luc, je l’éprouve comme sa vertu cardinale. Elle est ce qui ouvre les yeux de qui la regarde, et le cœur de qui l’éprouve.
Mathieu Terence
Dernier ouvrage publié de Mathieu Terence : Présence d'esprit, Paris, Stock, Septembre 2010.
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