Loeil qui rêve
Paradoxalement, ce nest pas au regard universel que ces photographies sadressent. Ce nest pas au regard contraint dans les limites de loeil, regard qui sait, qui connaît, qui reconnaît, mais plutôt à celui qui se brouille pour mieux distringuer, au regard ignorant.
Elles semblent relater un monde né des yeux mi-clos où flotte le souvenir de corps métamorphosés
par loubli ou labandon, des corps débarassés de leur matière, en fumée, mémoire de corps dont les
sinuosités dessinent un territoire nocturne.
Si lon emprunte ces lignes, si lon se laisse guider par elles, on découvre alors des présences, des terres dombre et des formes impalpables, aériennes ou aquatiques, toujours silencieuses. On navigue à lintérieur dun ventre ou dune cuisse, sur larête dun sein comme au coeur du désert, à la proue dun ciel, sur le dos dun animal, au centre de cette toute première réalité, le corps familier, étranger.
Créant par labstraction des formes, une autre forme, une autre vie, une autre chair, ces photographies donnent à la matière un sens, une fonction différente, neuve parce que soudain méconnaissable.
En forçant ainsi le réel à se lézarder, à se perdre et à nous perdre pour mieux apparaître, en brouillant les pistes, cest bien la photographie quAlain Brendel force. Cest elle quil interroge et ce sont ses limites quil repousse. Il dispose sous nos yeux des images qui, en confondant la lumière à lombre, le grand au petit, le familier à létrange, le singulier à luniversel, le détail et lindice au perpétuel, ou enfin la photographie à la peinture, livre un autre regard, celui que loeil seul, ne peut jamais débusquer.
Nathalie BARBARAS
écrire à alain brendel
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