© stéphane lehr
Angola, vivre sans la guerre

« Ma vie, ça a toujours été la violence, la peur et la haine, déplore João de Luanda. Aujourd’hui il faut que j’apprenne à exister en temps de paix. » Ce métis désabusé est né dans les années soixante, avec la guerre contre les colons portugais, un conflit anachronique qui accéléra la chute du régime de Salazar et apporta l’indépendance à l’Angola en 1975. Embrigadé de force dans les troupes gouvernementales (MPLA), João, le héros, a combattu ses frères, les « rebelles » de l’Unita. « Quand le leader de l’Unita, le docteur Savimbi a été assassiné en 2002, le conflit s’est stoppé net et les tensions sont retombées comme un soufflet. Personne n’en voulait plus de cette guerre. On ne savait plus pour quoi on se battait. »

Lobito, derrière son décor de Riviera surannée, offre un bien triste contraste : les villas coloniales défraîchies mais cossues du bord de mer tranchent radicalement avec les paradas, des squats délabrés du centre-ville. Selon les autorités provinciales, ces refuges de fortune (latrines désaffectées, carcasses de véhicules, containers, etc.) abriteraient 450 enfants, dont 18 filles, livrés à eux-mêmes. En tout, plus de 2500 mineurs survivraient de mendicité et de petits boulots, de la prostitution, le plus souvent pour les filles - sur la bande côtière de Benguela-Lobito. Les uns proviennent souvent de familles dispersées pendant la guerre ; les autres, victimes de violences domestiques, ont préféré fuir le domicile familial pour se réfugier dans la rue.

Okutiuka (le « retour » en umbundu, la langue locale), une association angolaise consacrée à la défense des droits des enfants, a, par exemple, obtenu de l'INAC (l'Institut national angolais à l'enfance) un lieu de vie pour les mineurs. L'endroit, baptisé As tendas (les « tentes » en portugais), un ensemble de huit tentes militaires détériorées, où vivent confinés 120 adolescents, est reconnu officiellement par les autorités de la ville. Un grand pas mais nettement insuffisant à l'aune des besoins en matière de santé et d'hygiène : les enfants souffrent des nombreuses pathologies de la rue comme le paludisme, la gale, les maladies de peau, les infections respiratoires, voire la tuberculose. Pour la prévention des infections sexuellement transmissibles. Côté hygiène, deux trous profonds à proximité d'un bras de mer pollué servent de réserves d'eau potables pour se laver. Un aspect déterminant du suivi médical, car ces petits migrateurs se rendent fréquemment par bateau à Luanda pour y trouver du travail.

La vie s'organise autour des tentes qu'Okutiuka a arrachées à l'Administration. Le site, baptisé parada dos fobados (« squat des affamés »), est dirigé avec autorité par Jésus, 17 ans, le bien nommé. Plus question de voir traîner les chiffons crasseux du chupilingua, cette addiction au combustible, sous peine d'exclusion. Les adolescents respectent les règles : lever à l'aube, toilette puis nettoyage des lieux avant l'école. Sur des airs de rap, ce soir, ils exhibent crânement leurs bras scarifiés à l'aide de lames usagées. En retrait et inquiet, Jésus scrute l'horizon : une maquerelle a déplacé son bouge à une centaine de mètres de là, comme pour mieux épier ce petit monde fragile. Telle une funeste épée de Damoclès.

Guillaume Plassais rédacteur